Allocution de Catherine Paysan : écrivain, présidente du Jury du Prix Hélène Bertaux, 1er mai 2011
Madame le Maire, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil municipal de Saint-Michel-de-Chavaignes, Monsieur le Conseiller général, Messieurs les Maires du canton de Bouloire et plus largement, qui que vous soyiez, chers amis de la Semaine des Métiers d’art et du prix Hélène Bertaux, c’est une joie pour moi, la petite fille de Louis Taureau, natif de Dollon en 1858, marié en 1884 avec Esther Paumier, née à Cou
drecieux, l’un comme l’autre donc, sous le Second Empire, venu avec elle s’établir boulanger à Saint-Michel-de-Chavaignes dans les débuts de la Troisième République jusqu’après la guerre de 1914-18, Louis Taureau, mon grand-père, réputé, m’a-t-on dit, pour la qualité de son pain, celle aussi de la brioche qu’il fournissait le dimanche au curé, et qu’Esther, son épouse, à l’aide d’une petite charrette tirée par un gros chien répondant au nom de Porthos, s’en allait livrer jusqu’au château de Saint-Paul et le domaine des Bertaux, d’avoir été conviée en ce soir du 1er mai 2011 à me trouver parmi vous.
J’ajoute pour la petite histoire, mais la petite histoire est celle qui contribue, que je sache, ô combien ! à façonner le visage qui se veut forcément altier de la grande, que Théodule Taureau, mon oncle, et sa sœur Marthe, ma mère, les deux enfants qui leur étaient nés, devenaient intarissables quand ils évoquaient les souvenirs de jeunesse qui les avaient façonnés au sein de cette communauté agreste et ouvrière en même temps, de paysans, de tisserands, d’artisans où le souhait de laïcité des uns et la fidélité des autres à la religion d’État, ne parvenait pas, malgré les tensions, et c’était tant mieux, à faire d’eux des ennemis jurés.
Une joie et un honneur pour la vieille routière de la plume que je suis, amoureuse de la manipulation des mots, de leur articulation, au mieux de leur densité, leur volume, leur couleur, leur musique, du pouvoir d’apaisement ou au contraire, explosif que constitue leur rapprochement et voici donc par ricochet, le mot lâché de leur différence.
La différence justement !
Le thème proposé par les organisateurs du Prix Hélène Bertaux 2011 aux participantes de cette exposition d’œuvres d’art, si méritante, si convaincante, à tous égards car elle est riche d’expression artistique personnelle, originalement pensée, conçue, architecturée avec les matériaux et les outils de leur choix, par chacune des femmes ayant désiré contribuer, par son talent respectif, par la sensibilité qui lui est propre, à sa réussite. Cette exposition est donc le kaléidoscope du regard qu’elles jettent sur le monde au travers de leur propre différence et de celle d’autrui.
Différence des sexes, des ethnies, des cultures, des mentalités, des critères moraux qu’elle entraîne, qui, au-delà de ce qui nous est commun – la vie, la mort, les joies, les chagrins, les souffrances – leur pose, nous pose question.
Car toute création artistique a ce mérite, du moins me semble-t-il, d’être moins une évidence, une vérité imposée aux yeux de qui la contemple qu’une proposition de libre questionnement mutuel entre elle et lui. Et cela dans un souci de tolérance partagée. Le monde, notre monde, si enclin aux violences de toutes sortes, si défiguré par elles, a tellement besoin d’une mise à plat de nos contradictions, d’une volonté de faire de nos différences une occasion de dialogue qui ne soit pas de sourds au lieu de phagocyter le discours de l’autre, ne fût-ce que pour nous persuader du seul bien-fondé du nôtre.
Au-delà de son indiscutable qualité artistique, cette exposition, consacrée à la démonstration de la capacité de création féminine parallèlement à celle des hommes dont Madame Hélène Bertaux fut l’illustration même et par la vigueur de son talent de sculpteur et par le combat qu’elle mena en faveur des femmes artistes, de leur reconnaissance, nous est donc une leçon de tolérance, de recherche d’une mise en place d’un monde meilleur où la question reste posée : qui sommes-nous ? Qui chacun et chacune devrait tenter d’être pour réussir, ce monde-là, à le rendre meilleur ?
Et c’est donc devoir un grand merci à la Municipalité de Saint-Michel-de-Chavaignes, à sa communauté villageoise et à tous ceux qui soutiennent sa volonté de cultiver pareil souci d’ouverture civilisatrice sur le monde, et d’autant, je le répète, pour moi honneur et plaisir de remettre à chacune des lauréates de cette belle exposition, son prix Hélène Bertaux 2011.
Merci.